Un prétexte, une permission d’une petite semaine pour m’évader. Je me hâte depuis presque deux jours vers mon pays natal. Je ne suis plus qu’à quelques heures de mon but, bien que je sois déjà sur les terres enneigée. Aujourd’hui est un jour particulier, c’est l’anniversaire de ma mère. Un peu plus de six années c’est écoulé depuis mon séjour au pays de la neige. Une vague émotion de nostalgie envahi mon cœur. Ce sentiment, je l’ai toujours redouté et il émerge dans mon esprit comme un récent bourgeon. Je reprends mon souffle et expulse de la vapeur de ma bouche. Cette même vapeur se dissipe dans l’air froid de l’hiver. Je lève la tête vers un firmament clair et très ensoleillé. Je suis enfin de retour. J’arpente les nombreux rochers qui se trouvent sur mon chemin et arrive finalement sur une plaine recouverte de neige et totalement immaculée. Aucune trace, aucun pas ne semble avoir souillé ce magnifique tapis glacé. Ce changement radical d’atmosphère me fait le plus grand bien, je le sens dans ma manière de me comporter, je suis moins sur mes gardes, moins machinal… Peut-être est-ce dû au fait que cette mission n’en soit pas vraiment une. Qu’importe, je ne suis pas ici en tant que ninja de Kiri mais en tant que visiteur.

Je continue mon périple en ligne droite savourant les craquements sous mes pieds, ce petit bruit qui d’un certain côté me rassure. Qui me rappelle aussi des souvenirs brumeux mais bien présent. La tombe de ma mère ne se trouve maintenant plus qu’à quelques kilomètres. Cette vive stimulation de tout à l’heure disparaît alors peu à peu de ma tête, laissant place à une angoisse démesurée. Le rapprochement physique qui me lie au corps de ma défunte génitrice me fait peur. Que faudra-t-il faire une fois là-bas ? Je n’ai apporté aucune offrande, rien pour honorer son âme. C’est idiot de ma part de m’en faire pour si peu. Je suis venue au pays de la neige pour effectuer un travail sur moi, pour prendre un peu de recul sur mon avancement en tant que shinobi. Réfléchir sur ma condition pour pouvoir repartir l’esprit léger et avoir ce sentiment d’accomplissement, c’est ça qui allait compter pour la suite.

Au bout du chemin, des stèles se tiennent droite, celles-ci annoncent l’entrée d’un endroit sacré ou reposent les âmes. Des grillages noirs délimitent le périmètre du cimetière, et à l’intérieur des tombes au milieu d’une mer de neige épaisse. Ce paysage mortuaire possède un charme que je n’ai pas su déceler dans le passé. La vision que j’en ai eue – il y a bien longtemps- fut différente elle aussi. J’entre dans la mini-nécropole et me dirige vers le tombeau de ma mère. J’enlève toute cette neige de la pierre tombale pour vérifier le nom que j’ai moi-même gravé à l’époque. Je dépose soigneusement mon katana contre le rebord de celle-ci et m’agenouille prudemment. Le sol polaire me fait frissonner des pieds jusqu’à la tête. Je baisse la tête, l’air hésitante et prononce finalement quelques mots :

«Bonjour maman. Ça fait longtemps hein … ? »

Un vent glacial me bouscule légèrement sur le côté. Instinctivement je tourne mon regard autours de moi, mais il n’y a personne…Au fond, je ne peux pas discuter avec elle, je ne peux pas tout lui raconter. Mon enthousiasme s’est évaporé, les souvenirs sont douloureux même s’ils sont heureux…
Au milieu de rien, mon regard se perd.

Je m’égare un instant, repensant aux souvenirs qui jaillissent de mon esprit. Mais une chose me frustre et casse mes aspirations. Comme une apparition, la manifestation soudaine d’un homme ne se pose pas directement sous mon regard, mais sa présence encombre mon espace de sécurité et gêne fortement mon moment d’intimité. Après quelque secondes d’inertie j’ose enfin lever les yeux vers mon voisin. Sa voix résonne dans mes tempes, une voix qui me fait mal. Il est comme un miroir, comme un reflet. Une symétrie parfaite entre nos deux silhouettes. Il est là, tout comme moi, venu rendre visite à un proche du passé. Ma tête virevolte de droite à gauche, je me frotte langoureusement le cou pour réchauffer mes doigts gelés. Je glisse cette même main sur mon visage et m’essuie les yeux doucement, cette escapade fut revigorante mais aussi très fatigante. A présent, je suis totalement muette, incapable de dire quoi que ce soit devant la tombe de ma mère. Déjà que parler seule est une chose plutôt ironique pour moi qui eue l’habitude de la compagnie. Mais si en plus un inconnu en fait de même, les morts ne vont plus s’entendre dormir. Je concentre alors ma vision sur la pierre verticale que j’ai enfoncée brutalement il y a six ans de cela.

Je jette un dernier œil sur la stèle de mon analogue. Le nom, la date, tout est clair, précis. En fuyant mon regard pour ne pas qu’il s’aperçoive que je l’espionne, je me mets à me souvenir de la situation qui m’a obligé à négliger la gravure du tombeau de ma mère. Une tempête eut lieu ce jour-là, mes mains paralysées ne purent correctement creuser la surface de la roche. J’ai bâclé la tâche et je me suis écroulé durant une journée entière. En me remémorant ce passage de ma vie, une idée me vint. Je sors amicalement un couteau d’une de mes poches intérieur de ma grande cape blanche et repasse avec celui-ci les inscriptions de la tombe. Une action peut-être surprenante, je ne fais pas attention à l’homme se trouvant à côté de moi. Je ne peux pas parler alors autant agir. Je retrousse mes manches pour plus d’efficacité et continue mon travail avec acharnement. Peu à peu l’écriture fut plus visible et on put lire très distinctement : Umeru Lin, 339 – 381

L’évènement récent me refroidit un instant avant que je ne finisse rapidement. Un air satisfaisant marqua les traits de mon visage. Je range mon couteau et me frotte les mains sur mes cuisses engourdis par le froid. Sans être discrète ou calme. Au fond, cette personne qui se tient là, près de moi, peut-être est-il ouvert à la discussion. J’ai toujours cru le cimetière abandonné par les proches. Ma curiosité va encore une fois reprendre le dessus. Subtilement j’incorpore une phrase plus ou moins interrogative dans ce silence de mort :


« N’est-ce pas plus visible ainsi ? »

Dis-je avec une voix assurée et sincère. Me retournant vers mon futur interlocuteur, un sourire en coin.

Des yeux noirs, comme la nuit, aussi profond que le néant. C’est ce que j’aperçois à ce premier regard. L’individu me semble plutôt calme, dégageant une aura non agressive. Je ne suis pas méfiante de nature, mais j’ai vite appris à rester sur mes gardes sans avoir à le démontrer. Ma posture est détendue, assez pour passer pour une simple civile en visite ? Je réponds sans hésiter :

« C’est pour ma mère, je n’ai jamais eu l’occasion de lui offrir des funérailles digne de ce nom. Puis… Je me suis culpabilisé en voyant les tombes alentours, enfin, plus particulièrement celle que vous honorez. D’ailleurs, je me permets de m’excuser, c’était tout à fait impoli de ma part. »

Oui, la franchise est pour moi une vertu première pour amorcer les bases d’une bonne conversation. Mon sourire s’efface et je me retourne une énième fois vers la tombe de ma mère. Tout en ayant fixé mes mains sur mes cuisses, je dévisage avec détachement l’inscription que je viens de repasser. Je me sens bizarrement moins angoissé qu’il y a peu. Peut-être est-ce dû au fait que je puisse enfin communiquer avec ma mère à travers la discussion que je viens de commencer avec le mystérieux homme au regard ébène. D’un autre côté, je ne peux pas révéler la vraie nature de ma visite et ce qui m’a poussé à faire ce voyage. La prudence et la discrétion sont les mots d’ordres du village de Kiri. Je ne peux malheureusement prendre le risque de me dévoiler et de tout déballer comme une débutante pour une crise d’émotion aussi futile que celle-ci. Mais je ne peux pas me défiler maintenant, j’ai attendu des mois avant d’avoir l’autorisation de partir, une chance qui ne se laisse pas prendre deux fois. L’avenir annonce trop de chose pour que je puisse me permettre de bâcler mon discours maintenant.

« Je suis venue dans le but de lui raconter mon parcours…Mes six années passé loin de ma famille, mes états d’âmes, ma réussite…Je veux qu’elle soit fière de moi. »

Mais je suis bien trop confiante et positif pour ne pas espérer un retour près des miens. De toute manière, je ne vais pas m’étendre plus longtemps sur la question, et puis je ne veux pas l’ennuyer avec des histoires du passé. Il est lui aussi venue se recueillir, cependant ma présence n’a aucunement l’air de le déranger. Et pour être tout à fait honnête, cela est une aubaine pour moi de discuter avec quelqu’un en dehors du village. Ma vie fut très restreinte durant ces trois dernières années. Le travail, les entraînements, les missions. Je n’ai pas eu de mal à m’intégrer à la société mais l’isolation est une réalité bien présente dans ce monde de shinobi. J’ai atteint un grade qui ne me permet plus aucune folie, plus de repos et le contact avec l’extérieur devient extrêmement difficile. Je dois juste profiter, souffler un peu :

«Je croyais le cimetière abandonné depuis longtemps, vous résidez dans le pays ?»

Une question fatidique, peut-être trop indiscrète pour une première approche, mais savoir est nécessaire.